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PARFOIS, JE PENSE À EFFACER TOUTES MES VIDÉOS POUR LEUR RENDRE LEUR LIBERTÉ
Le réel et son double.
Sorte de recueil de très courtes vidéos, ce travail a commencé en 2009 lorsqu’en quittant l’école de cinéma animalier, j’ai cessé de chercher à filmer ce qu’on appelle la « Nature ». Longtemps obsédée par ces formes de représentations, l’image « nature » a comblé un gouffre qui ne s’est refermé que lorsque que je me suis employée à cueillir d’autres sortes d’images, celles qui ne sont pas faites pour être regardées. Adolescente, j’étais fascinée par les représentations de nature, car elles m’offraient un rapport au monde presque spirituel en me délivrant complètement de ma réalité : celle d’une femme avec un corps qui ne rentrait pas dans le monde des images. D’un côté, j’idolâtrais ces images comme des icônes véritables, et de l’autre, j’avais peur de disparaître, car on ne me regardait pas.
J’étais grosse et sur mon canapé, je mangeai en regardant du cinéma animalier.
Comme ces images de nature si parfaites, j’avais l’impression de ne trouver ma raison d’être qu’à travers le regard que l’on pouvait me porter. Alors j’ai voulu faire des images qu’on allait aimer à ma place. J’ai commencé à fabriquer des images nature, puis je suis rentrée dans une école de cinéma animalier. Très vite, j’en suis partie avec le sentiment que j’étais en train de participer à quelque chose d’autre.
Merveilleux partout, nature nulle part.
Ces projets font partie d’une pratique qui répond à l’urgence de me sentir connectée avec « ce qui arrive », à l’urgence d’abandonner cette place de spectateur et ne plus considérer ce qui est face à moi comme un espace de spectacle. Il s’agit de laisser mon corps actif et en prise avec mon réel : avec la lumière et ses ombres, le mouvement et ses couleurs, les formes, les lignes, les textures.
Filmer « ce qui arrive », c’est se trouver quelque part, et c’est, pour moi, se réconforter face au néant.
L’image n’est plus un espace restreint, contenu dans un cadre à idolâtrer, mais c’est bien le fait de sa fabrication qui est une réelle une prière. Mon corps n’est plus là pour être regardé, mais pour s’insérer et être en relation avec son contexte espace temps.
Ce qui me porte dans ces projets, c’est de rencontrer cet hyper réel, puis de le capturer à l’aide de ma caméra, laissez-passer vers le merveilleux : je filme ce qui n’est pas fait pour être regardé.
«La pensé tentaculaire n’est pas une métaphore, mais un dispositif technique»*
Donna Haraway, Conférence ERG , 2017
Tel un satellite, ce projet d’art vidéo fait partie d’une recherche élargie autour de la mise en crise du paradigme « Nature Culture », qui prend la forme d’un projet de recherche à l’EHESS et d’un film documentaire en cours d’écriture et de montage. Il répond par une forme simple à un problème complexe et me permet, par son geste empirique et concret d’alimenter de manière considérable ma recherche théorique et documentaire. Véritable proposition face aux espaces critiques que j’identifie dans mes deux autres projets, c’est aussi pour moi une fenêtre éclairée dans une purée de pois cassés.
Cette recherche s'est approprié deux notions : « L’hyper - réel » : ce qui est de l’ordre de la présence et non de la représentation , ce qui n’est pas fait pour être regardé, et «l'infra ordinaire » ce qui pourrait être perçu comme le contraire d’extra-ordinaire.
Video : Je vois (latin)
Ce projet d’art vidéo est le résultat empirique d’un détachement affectif des représentations de nature, vues comme des images religieuses, cristallisées et totalitaires. Il y avait, certes, une urgence à me détacher de ces images, mais surtout de l’urgence de me construire un regard, une subjectivité. Tel un grand éblouissement aveuglant, le monstre machine que sont les formes de représentation de nature, ne me permettaient pas de voir autre chose que ça, un réel qui existe sans nous, d’une puissance et d’une force résiliente remarquable.
Capturer une image, c’est déjà créer un souvenir : le projet se charge de garder en mémoire un engagement entre mon corps et son contexte espace temps. D’une manière paradoxale, ce qui est donné à voir, ce sont des images virtuelles dénouées d’un corps et de son contexte, mais elles restent la preuve d’une rencontre. Interrogeant toujours ce qui est de l’ordre de la présence et de la représentation, ces images - mouvement gagnent dans leur matérialité en sortant de leur virtualité. Elles retrouvent leur force à travers un dispositif de projections et d’installations.
Vis et travaille à Bruxelles,
Chargée du cours "Expérimentations autour de la pellicule" à l’École de Recherche Graphique.